Voilà quelques mois déjà que j'ai eu la chance d'assister à une des premières projections publiques du film de Guillaume Gallienne qui a tant fait parler de lui ces dernières semaines, ce film qui a raflé cinq César parmi les plus prestigieux - meilleur film, meilleur premier film, meilleur acteur, meilleure adaptation, meilleur montage -, j'ai nommé "Les garçons et Guillaume, à table !". Cette avant-première avait lieu lors du Festival de Sarlat, auquel j'ai participé en novembre dernier, et au terme duquel le film a reçu le prix des lycéens. J'ai longtemps hésité avant de poster mon avis sur cette première réalisation, tant Guillaume Gallienne m'a bouleversée, ne trouvant rien à redire au point de lui attribuer une note de 5/5 lors du festival. Mais aujourd'hui, j'estime que le moment est venu. Voici donc, en quelques paragraphes, comment Gallienne est parvenue à atteindre quasiment la perfection en un long-métrage.
Guillaume
Gallienne tombe le masque. Une jolie métaphore illustrée par le
premier plan du film qui donne directement le ton. La comédie pour
panser ses plaies, telle est la solution trouvée par Guillaume
Gallienne. Mieux qu'une quelconque séance de psychanalyse, et
pourtant Dieu sait qu'il en a testé des médecins, Guillaume. Pour
comprendre, pour accepter. Pourquoi cette différence ? Pourquoi
tant de jugements à son égard ? Et puis en grandissant, il a
compris. Il s'est longtemps cherché, guidé par le spectre de sa
mère adorée planant sans cesse au-dessus de lui. Elle voulait une
fille, n'en avait jamais eu, Guillaume lui servirait donc de fille de
substitution. Il a gravi les années sans se poser de questions sur
sa sexualité. Il était Guillaume, la fille de maman, et il aimait
les garçons, comme la plupart des filles. Il a rencontré Jérémy,
en est tombé amoureux. Du moins c'est ce que le Guillaume façonné
par sa mère croyait. Et puis un jour, après de nombreuses
tentatives infructueuses, il a croisé le regard d'Amandine. La
révélation. Guillaume était homme et parfaitement hétérosexuel
de surcroît. Au travers d'une pièce de théâtre d'abord, puis de
cette adaptation cinématographique, il nous raconte cette histoire
unique en son genre. Pas pour régler ses comptes. Aucun esprit de
vengeance. Guillaume a aimé sa mère et l'aimera toujours. Tout
comme ses frères, son père et tous les personnages qu'il dépeint
avec malice dans ce premier long-métrage. Au contraire, c'est ici
une vibrante déclaration d'amour que ce comédien au talent démesuré
leur fait. A eux mais aussi à toutes les femmes et tous les hommes.
Guillaume Gallienne interviewé par Philippe Lefait à Sarlat |
Émouvante
expérience. Tel est mon ressenti après deux visionnages des Garçons
et Guillaume, à table. Sur le fond et sur la forme. Guillaume
Gallienne, comédien du Français dont la réputation théâtrale
n'est plus à faire, ajoute ici une corde à son arc en écrivant et
réalisant ce film, en plus d'interpréter son propre rôle et celui
de sa mère. Une mère qu'il connaît si bien et qu'il admire tant
qu'il est capable de reproduire la moindre de ses mimiques, la
moindre modulation de sa voix. Au-delà de l'incroyable histoire qui
sert de toile de fond au film, la réalisation est surprenante, sobre
mais délicate, soignée et agréable. Les allers-retours entre la
scène du théâtre où Guillaume interprète son spectacle et les
décors d'antan rythment parfaitement le film. La bande-son, des plus
réussies, est un atout supplémentaire à ce film qui possède déjà
une longue liste d'arguments pour nous convaincre.
Mais
parlons donc de ce qui nous intéresse le plus : l'enfance, ou
plutôt l'adolescence de Guillaume Gallienne et ses difficiles
premiers pas dans la vie d'adulte dans laquelle il ne semble pas
trouver ses marques. Né dans une famille aristocrate, Guillaume est
un enfant choyé par sa maman qui voit en lui la fille qu'elle a
toujours rêvé d'avoir. Dès son plus jeune âge, un fossé se
creuse entre ses deux frères aînés et lui. Il sera Guillaume et
eux les garçons. Son père, lui, n'accepte pas cette différence. Il
a trois fils et souhaite que son cadet se mette à niveau égal avec
ses frères. Mais Guillaume ne veut pas. Il est une fille parce que
maman veut qu'il soit une fille et papa doit le comprendre. "Les garçons et Guillaume, à table !" se révèle être une succession de situations toutes plus cocasses et hilarantes les unes
que les autres - un voyage en Espagne où Guillaume apprend à danser
la « sévillanne », un séjour dans un internat anglais,
une imitation de Sissi, de multiples rencontres avec des psys, des
tests d'entrée pour l'armée, un tour dans une boîte gay... -
agrémentées de répliques toutes extrêmement drôles - en témoigne cette phrase du médecin de l'armée qui,
lorsque Guillaume renverse une mallette pleine de médicaments lui
dit « Au moins vous n'êtes pas tout seul ! »
J'ai
ri aux éclats tout au long du film la première fois que je l'ai vu.
Étrangement, la seconde fois je n'ai dû laisser s'échapper que
deux ou trois rires, la gorge nouée parce que je m'attardais sur la
seconde facette de cette comédie bien plus sombre qu'il n'y paraît.
Ce personnage complexe que s'était construit Guillaume lorsqu'il
était enfant, puis adolescent, puis jeune adulte, nous touche sans
que l'on puisse réellement s'y retrouver. Sa situation est
vraisemblablement unique et bien que toute personne ayant vécu ou
vivant encore dans un mal-être des plus profonds puisse parfois s'y
identifier, notamment lors des passages chez les psychologues et
autres psychanalystes, personne ne peut comprendre le combat entre
l'enfant que Guillaume pense être et ce que tout le monde voit de
lui. Si ce film est à mon sens une réussite totale, c'est parce
qu'il parvient à nous bouleverser sans jamais tomber dans le pathos,
à nous émouvoir sans jamais exagérer. Tout est savamment dosé, si
bien que même la scène de la piscine, métaphore d'une tentative de
suicide qui échoue, passe au premier abord pour une scène plutôt
comique.
Nous
assistons ici à la naissance d'un homme. Homme dont la vie n'a pas
toujours été un long fleuve tranquille, mais qui a su trouver le
chemin pour se débarrasser de ses blessures. Le théâtre pour
panser ses plaies, voilà qui correspond bien à Guillaume Gallienne...
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