mardi 1 avril 2014

Ce jour où Guillaume Gallienne m'a bouleversée


Voilà quelques mois déjà que j'ai eu la chance d'assister à une des premières projections publiques du film de Guillaume Gallienne qui a tant fait parler de lui ces dernières semaines, ce film qui a raflé cinq César parmi les plus prestigieux - meilleur film, meilleur premier film, meilleur acteur, meilleure adaptation, meilleur montage -, j'ai nommé "Les garçons et Guillaume, à table !". Cette avant-première avait lieu lors du Festival de Sarlat, auquel j'ai participé en novembre dernier, et au terme duquel le film a reçu le prix des lycéens. J'ai longtemps hésité avant de poster mon avis sur cette première réalisation, tant Guillaume Gallienne m'a bouleversée, ne trouvant rien à redire au point de lui attribuer une note de 5/5 lors du festival. Mais aujourd'hui, j'estime que le moment est venu. Voici donc, en quelques paragraphes, comment Gallienne est parvenue à atteindre quasiment la perfection en un long-métrage.


Guillaume Gallienne tombe le masque. Une jolie métaphore illustrée par le premier plan du film qui donne directement le ton. La comédie pour panser ses plaies, telle est la solution trouvée par Guillaume Gallienne. Mieux qu'une quelconque séance de psychanalyse, et pourtant Dieu sait qu'il en a testé des médecins, Guillaume. Pour comprendre, pour accepter. Pourquoi cette différence ? Pourquoi tant de jugements à son égard ? Et puis en grandissant, il a compris. Il s'est longtemps cherché, guidé par le spectre de sa mère adorée planant sans cesse au-dessus de lui. Elle voulait une fille, n'en avait jamais eu, Guillaume lui servirait donc de fille de substitution. Il a gravi les années sans se poser de questions sur sa sexualité. Il était Guillaume, la fille de maman, et il aimait les garçons, comme la plupart des filles. Il a rencontré Jérémy, en est tombé amoureux. Du moins c'est ce que le Guillaume façonné par sa mère croyait. Et puis un jour, après de nombreuses tentatives infructueuses, il a croisé le regard d'Amandine. La révélation. Guillaume était homme et parfaitement hétérosexuel de surcroît. Au travers d'une pièce de théâtre d'abord, puis de cette adaptation cinématographique, il nous raconte cette histoire unique en son genre. Pas pour régler ses comptes. Aucun esprit de vengeance. Guillaume a aimé sa mère et l'aimera toujours. Tout comme ses frères, son père et tous les personnages qu'il dépeint avec malice dans ce premier long-métrage. Au contraire, c'est ici une vibrante déclaration d'amour que ce comédien au talent démesuré leur fait. A eux mais aussi à toutes les femmes et tous les hommes.

Guillaume Gallienne interviewé par Philippe Lefait à Sarlat
Émouvante expérience. Tel est mon ressenti après deux visionnages des Garçons et Guillaume, à table. Sur le fond et sur la forme. Guillaume Gallienne, comédien du Français dont la réputation théâtrale n'est plus à faire, ajoute ici une corde à son arc en écrivant et réalisant ce film, en plus d'interpréter son propre rôle et celui de sa mère. Une mère qu'il connaît si bien et qu'il admire tant qu'il est capable de reproduire la moindre de ses mimiques, la moindre modulation de sa voix. Au-delà de l'incroyable histoire qui sert de toile de fond au film, la réalisation est surprenante, sobre mais délicate, soignée et agréable. Les allers-retours entre la scène du théâtre où Guillaume interprète son spectacle et les décors d'antan rythment parfaitement le film. La bande-son, des plus réussies, est un atout supplémentaire à ce film qui possède déjà une longue liste d'arguments pour nous convaincre.


Mais parlons donc de ce qui nous intéresse le plus : l'enfance, ou plutôt l'adolescence de Guillaume Gallienne et ses difficiles premiers pas dans la vie d'adulte dans laquelle il ne semble pas trouver ses marques. Né dans une famille aristocrate, Guillaume est un enfant choyé par sa maman qui voit en lui la fille qu'elle a toujours rêvé d'avoir. Dès son plus jeune âge, un fossé se creuse entre ses deux frères aînés et lui. Il sera Guillaume et eux les garçons. Son père, lui, n'accepte pas cette différence. Il a trois fils et souhaite que son cadet se mette à niveau égal avec ses frères. Mais Guillaume ne veut pas. Il est une fille parce que maman veut qu'il soit une fille et papa doit le comprendre. "Les garçons et Guillaume, à table !" se révèle être une succession de situations toutes plus cocasses et hilarantes les unes que les autres - un voyage en Espagne où Guillaume apprend à danser la « sévillanne », un séjour dans un internat anglais, une imitation de Sissi, de multiples rencontres avec des psys, des tests d'entrée pour l'armée, un tour dans une boîte gay... - agrémentées de répliques toutes extrêmement drôles - en témoigne cette phrase du médecin de l'armée qui, lorsque Guillaume renverse une mallette pleine de médicaments lui dit « Au moins vous n'êtes pas tout seul ! »


J'ai ri aux éclats tout au long du film la première fois que je l'ai vu. Étrangement, la seconde fois je n'ai dû laisser s'échapper que deux ou trois rires, la gorge nouée parce que je m'attardais sur la seconde facette de cette comédie bien plus sombre qu'il n'y paraît. Ce personnage complexe que s'était construit Guillaume lorsqu'il était enfant, puis adolescent, puis jeune adulte, nous touche sans que l'on puisse réellement s'y retrouver. Sa situation est vraisemblablement unique et bien que toute personne ayant vécu ou vivant encore dans un mal-être des plus profonds puisse parfois s'y identifier, notamment lors des passages chez les psychologues et autres psychanalystes, personne ne peut comprendre le combat entre l'enfant que Guillaume pense être et ce que tout le monde voit de lui. Si ce film est à mon sens une réussite totale, c'est parce qu'il parvient à nous bouleverser sans jamais tomber dans le pathos, à nous émouvoir sans jamais exagérer. Tout est savamment dosé, si bien que même la scène de la piscine, métaphore d'une tentative de suicide qui échoue, passe au premier abord pour une scène plutôt comique.

Nous assistons ici à la naissance d'un homme. Homme dont la vie n'a pas toujours été un long fleuve tranquille, mais qui a su trouver le chemin pour se débarrasser de ses blessures. Le théâtre pour panser ses plaies, voilà qui correspond bien à Guillaume Gallienne...



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